mercredi 3 avril 2013

Briseurs de rêves, d'Aimé Eyengué

Pour qui a déjà lu Aimé Eyengué, il ne fait aucun doute que cet auteur comporte dans son encrier un fond de poésie qui nourrit souvent sa plume. Mais de là à penser qu'il produirait une oeuvre entièrement poétique, c'est ce qu'on ne soupçonnait point, et c'est pourtant ce qu'il a fait en publiant, en décembre 2012, le recueil Briseurs de rêves, suivi de Rêves de Brazzaville
 
C'est un recueil qui invite le lecteur à observer "le babillage et l'habillage de notre monde" (propos liminaire). Et notre monde se caractérise surtout par son altérité, par sa promptitude à transformer les "danses" en  "décadences", par son hypocrisie ou plutôt sa perfidie, car sous un masque fait de sourire et de bonhomie, il peut dissimuler l'arme avec laquelle il a l'intention de vous briser.
 
"Briseurs de rêves" dénonce cette société où  "L'humanité s'écroule /    La justice recule", une société faite de flagrantes inégalités :
 
"Les pauvres en minuscule
 Les riches en majuscule".
 
Notre société, au lieu de le fuir, déroule le tapis rouge à "l'ogre financier", de sorte que celui-ci dévaste tout sur son passage, il est même la cause de la décadence évoquée ci-dessus, comme l'illustre le roman de Ralphanie Mwana Kongo, La Boue de Saint-Pierre, où un personnage, époux fidèle, père exemplaire et frère attentionné, voit sa vie muer en cauchemard dès lors qu'il se laisse conduire par cet ogre. Prosternez-vous devant le dieu Argent et vous verrez vos rêves se briser en menus morceaux.
 
L'Argent est, on l'aura compris, un des thèmes principaux de ce recueil, avec la religion et les moeurs. Mais Aimé Eyengué parle aussi de politique, régimes comme figures emblématiques :
 
Le manifeste du silence,
C'est aussi le taux d'abstention élevé,
le rêve en déclin,
Dans les démocraties à l'emporte-pièce.
 
(poème "Le manifeste du silence")
 
 
Dans Briseurs de rêve, recueil en quatre tableaux, Aimé Eyengué crie sa révolte : contre l'Argent-roi, contre les profanations et les diffamations, contre tout ce qui empêche les libertés de s'épanouir et les enthousiasmes de s'exprimer.
 
 
Mais Briseurs de rêve est aussi et avant tout un objet littéraire. L'auteur s'amuse avec la langue, avec les rimes, il fait s'entrechoquer les sons pour faire éclater le sens. On l'observe déjà dans les titres des poèmes : "Fa sol la Sida" ; "Laura Je" ; "Mille milliards de mille Sodome". On peut le voir aussi dans cet extrait, où le jeu avec les pronoms personnels permet la dénonciation de l'ego surdimensionné. Le poème est justement intitulé "Vieux jeu" :  
 
Vieux jeu, le je
Aigrit le Tu
Avale le Il
(...)
Le "Moi, je" tue
 
 Bref, c'est à une dégustation poétique aussi bien que philosophique que nous invite Aimé Eyengué dans Briseurs de rêves.
 
 
Aimé Eyengué, Briseurs de rêves, suivi de Rêves de Brazzaville, L'Harmattan-Congo, 2012, 104 pages, 12 €.

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