samedi 21 avril 2012

Bal des sapeurs à Bacongo, de Patrick Serge Boutsindi

Le phénomène de la sape est tellement ancré dans la société congolaise qu'il retient l'attention des essayistes et des écrivains. Nombreux en font la matière principale de leur ouvrage, comme le Black Bazar d'Alain Mabanckou. La dernière parution de Patrick Serge Boutsindi, un recueil de nouvelles, porte le titre de l'une d'entre elles : Bal des sapeurs à Bacongo. La couleur est annoncée, mais ce n'est pas le seul thème abordé dans ce recueil, comme pourrait le faire croire la quatrième de couverture, que je trouve très réductrice.


L'auteur, dans ce recueil, s'attache à décrire plusieurs phénomènes caractéristiques de cette société qu'il connaît si bien, il s'interroge sur leurs causes, montre surtout les conséquences que ceux-ci peuvent avoir sur l'essor du pays. Ce livre est appréciable en ce qu'il montre comment une société s'enferre dans des habitudes et des mentalités qui la retiennent prisonnière du sous-développement. Pour en revenir à la sape, c'est-à-dire la Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes, qui fonde son existence sur l'habillement chic, le paraître, Patrick Serge Boutsinfi en fait l'historique et cite les principaux tenants de cette "science", si l'on peut l'appeler ainsi, avant de s'intéresser à l'un d'eux et raconter son revirement, à l'approche de la cinquantaine. Prosper Débolo, le personnage, résident en France, décide du jour au lendemain d'arrêter de consacrer toutes ses économies à l'acquisition des vêtements et chaussures de grande marque pour tenter de monter une entreprise dans son Congo natal et assurer ainsi sa retraite. Il prend un crédit, rassemble le matériel nécessaire et rentre au pays, avec la conviction qu'il réussira même à convaincre quelques jeunes sapeurs désoeuvrés sur place pour travailler avec lui dans son entreprise. Pour lui, la réussite ne fait aucun doute, comment n'obtiendrait-il pas la bénédiction de tous ? Il va offrir du travail à des jeunes sans emploi, à la population des produits locaux... Bref son initiative est louable, mais il subira une terrible déconvenue !

Dans une autre nouvelle, "La mort de l'Etat", l'auteur montre comment un autre ressortissant du Congo s'empresse de retourner au pays après ses études, afin de se mettre au service de celui-ci. Très lucide, il sait que le système administratif, calqué sur le modèle occidental n'est pas tout à fait adapté aux besoins et aux réalités du pays dont l'organisation traditionnelle était plus efficace. Nommé Ministre de la justice au bout de quelques années, il s'attaque à l'appareil judiciaire, en donnant une place prépondérante aux juges "traditionnels" : les "Nzonzi" par exemple. Malheureusement, cette réforme, qui aurait pourtant été salutaire, les "Nzonzi" étant infiniment moins sujets à la corruption, est très mal perçue. Pour tous, il faut conserver tel quel l'organisation occidentale !

Cet attachement à tout ce qui est occidental, ce désir de ressembler au Blanc et à s'unir même avec lui sera la source du malheur de l'héroïne d'une autre nouvelle : "L'histoire d'une jeune fille". Dans une autre, "Le Juge et les immigrés", c'est un français qui est cette fois le personnage principal. Juge de son état, il instruit les dossiers de reconduite à la frontière. Mais un jour, il fait passer un interrogatoire à un Sénégalais et à un Congolais, arrêtés parce que sans-papiers, qui lui ouvrent les yeux sur une réalité qu'il ignorait jusque-là. Il décide d'essayer de faire bouger les choses, de mettre tout en oeuvre pour que les choses changent en Afrique et pour que les ressortisssants de ce continent n'éprouvent plus le besoin de venir chercher une vie meilleure en Europe. Il débarque au Sénégal et montre une extrême impartialité dans l'instruction des dossiers impliquant même de grands patrons français qui profitaient largement du système corrompu, au détriment de la population pour qui rien ne change. Le drame, c'est celui-là : rien ne doit changer, dès qu'une initiative est menée, dès qu'une volonté se lève pour tenter de soigner les rhumatismes qui empêchent les Etats africains de se propulser en avant, elles sont tout de suite étouffées. Le juge ne fera pas long feu.

En un mot les thèmes soulevés : féticisme et superstition, combat entre modernité et tradition, exercice du droit, de la justice, phénomènes de la sape, des veillées mortuaires prises en otage par des jeunes sans pudeur, la manière peu catholique dont les musées occidentaux se sont dotés d'articles venus d'ailleurs etc., ces sujets, disais-je, sont intéressants et l'auteur a le mérite d'interpeller, en les évoquant, ses concitoyens sur ce qui nous enfonce au lieu de nous faire avancer. Cependant je relève plusieurs "faiblesses". Tout d'abord, un certain manque de cohérence en ce qui concerne certaines nouvelles, parfois même un manque de goût, à mon humble avis : comment comprendre par exemple qu'une jeune fille vivant en France écrive à sa famille pour lui raconter le plaisir qu'elle a eu à tromper son mari, décrivant même dans sa lettre les positions dans lesquelles elle se mettait durant ses ébats avec son jeune amant, les lieux où ils le faisaient. Cela me semble peu vraisemblable : qu'elle le confie à une amie, à son journal intime, oui, cela se conçoit, mais à ses parents restés en Afrique, je doute fort que le cas puisse être avéré dans la vraie vie. Je trouve aussi que certains dialogues auraient gagnés à être pris en charge par un narrateur, parce qu'ils ne représentent pas un plus pour le lecteur. Un dialogue par contre retient l'atttention : celui entre le juge et les immigrés, qui met en lumière les personnages, montre comment le juge en arrive à changer de regard. Ce dialogue-là a tout à fait sa place et a un intérêt certain pour le lecteur. Par ailleurs, certains sujets abordés ne sont pas suffisamment développés ou argumentés, par exemple lorsque la narratrice de la première nouvelle déclare être de l'avis de Nicolas Sarkozy, qui "a affirmé que l'Homme africain n'est pas assez rentré dans l'histoire" (p. 16). Quand on sait tous les débats, les discussions, les écrits qui ont suivi cette déclaration du président français, le personnage donne l'impression de reprendre un débat sans en maîtriser les contours.

Bref les choix d'écriture peuvent parfois paraître discutables, mais le livre vous plonge dans la société congolaise en particulier, africaine en général, et remonte aux origines de certains phénomènes, de certains noms aussi, par exemple la genèse du nom "Kongo"...


Patrick Serge Boutsindi, Bal des Sapeurs à Bacongo, Nouvelles, Editions L'Harmattan, 2011, 138 pages, 14.50 €.

5 commentaires:

Obambé GAKOSSO a dit…

C’est plaisant de lice cela,
Quand nous étions enfants, nos aînés, les adolescents et même un peu plus vieux, organisaient des « défis ». Il s’agissait d’avoir avec soi quelques très beaux vêtements et de belles paires de chaussures. On se réunissait alors par exemple dans une rue ou dans une maison inachevée. Chacun se mettait alors sur son 31 et on défiait son vis-à-vis comme à l’occasion d’un combat de boxe mais sans le moindre coup de poing au programme. Bien entendu, il faut préciser que les compétiteurs n’étaient pas, bien souvent, propriétaires de ces vêtements et de ces chaussures.
Ah ! que de souvenirs. Je ne suis pas surpris que la sape soit une philosophie pour certains. Un art de vivre.

@ suivre, O.G.

Liss a dit…

Des souvenirs qui ont agrémenté notre jeunesse, Tata Obambé ! Belle manière de se "défier", de se mesurer, plutôt que de se taper dessus... Il y avait aussi les duels de chants ou de morceaux musicaux, comme on le voit dans Photo de groupe au bord du fleuve, et que j'ai découvert aussi avec plaisir dans une autre civilisation, dans Le jour avant le lendemain de Jorn Riel, une récente lecture.

Jackie Brown a dit…

J'aime beaucoup les nouvelles. D'après ce que tu écris, ce recueil me tente bien. Je note.

Liss a dit…

Il ne me reste qu'à te souhaiter une bonne découverte, Jackie.

Jackie Brown a dit…

Et de trouver le livre ! Merci Liss.