samedi 11 août 2012

Syngué sabour, d'Atiq Rahimi

Cela fait plusieurs années que je m'étais promis de lire Syngué sabour, sous-titré pierre de patience, non seulement parce qu'il avait été couronné par le prix Goncourt, en 2008, mais surtout parce que, sur la blogosphère, on en parlait en des termes qui ne pouvaient me laissaient indifférente. Et le roman ne laisse pas indifférent. Il vous met tout de suite dans la position de celui qui est disposé à écouter. Avide de savoir la tournure que vont prendre les événements. Recueillir les confidences, plutôt les confessions de cette femme qui prend soin de son mari tombé dans un état comateux après avoir reçu une balle dans la nuque. Le lecteur devient, lui aussi, une "pierre de patience".


La légende de la "pierre de patience", appelée "syngué sabour", c'est d'être une pierre magique qui a la capacité d'absorber toutes les souffrances que vous voudrez bien lui confier, jusqu'à ce qu'elle éclate et, par la même occasion, vous soulage, vous libère, vous fasse accéder à une nouvelle vie.

La parole est libératrice, le dialogue, c'est la communication, et la communication mène à la communion, autrement dit une manière de s'adapter l'un à l'autre, de se mettre au même diapason, d'accorder ses voix pour une vie plus harmonieuse. Or durant les dix années que l'héroïne a partagées avec son mari, elle a été réduite à enfouir en elle tout ce qu'elle pouvait ressentir, tout ce qu'elle pouvait penser. Elle n'a pas vraiment vécu avec lui mais à côté de lui, du moins les quelques jours où il était présent à la maison. Le reste du temps, c'est-à-dire le plus souvent, il était au front, se battant au nom d'Allah dans une guerre fratricide. Nous sommes en Afghanistan, "ou ailleurs" précise l'auteur.

Ce roman est une sorte de monologue dialogué ou de dialogue monologué. Face à son mari inerte, mais qui respire régulièrement, la femme se met peu à peu à lui parler, à lui confier toutes ces "choses qui se sont entassées en (elle) depuis un certain temps" (p.90), elle est en effet persuadée qu'il l'entend, et qu'il sera sa "pierre de patience". S'il ne se rétablit pas et "éclate" comme la pierre, au moins elle lui aura tout avoué, elle se sent déjà plus légère ! Et si par bonheur son homme revient à la vie, elle espère que, après avoir entendu les épanchements de son coeur, ses frustrations, ses tentatives pour que s'affermisse leur union, sa volonté d'avoir une vie de couple plus épanouie, peut-être essaiera-t-il d'être un mari différent, plus à son écoute, plus dans le partage, au lieu de se retrancher continuellement dans son mutisme et son rôle de héros de guerre...

Le lecteur se demande donc avec angoisse comment tout cela va se terminer. Jour après jour, la femme fait les gestes quotidiens qui maintiennent la vie dans ce corps apparemment mort : le nettoyer, le changer, remettre du liquide dans la perfusion... La guerre qui sévit au dehors et qui s'invite aussi dans la maison accompagne ses gestes.

Elle guette, à chaque instant, un signe qui lui indiquerait que son homme est conscient, qu'il l'entend et comprend tout. A défaut, elle se raccroche à la seule manifestation de vie : sa poitrine qui se soulève à un rythme régulier. En fait, dans ce roman, "tout s'accorde au seul rythme de la respiration de l'homme." (page 52) Celle-ci est même la nouvelle mesure du temps, qui ne se compte plus en secondes, en minutes ou en heures, mais en "souffles".

Violence de la guerre, violence qui imprègne les rapports entre les humains, blessures intimes, dureté de la condition dans laquelle on veut maintenir la femme, ego de l'homme qui, au lieu d'avouer ses faiblesses, de se tourner vers la femme puisque celle-ci lui a été donnée pour être sa "compagne", celle avec qui il est censé tout partager pour aboutir ensemble à une solution, l'homme au contraire préfère masquer ses failles par une démonstration de "virilité" qui entraîne la cellule familiale et toute la société avec elle dans un engrenage où tout le monde souffre, finalement.


Le roman vous emporte dans son ryhtme rapide qui s'accélère davantage dans un dénouement à vous couper le souffle !


Atiq Rahimi, Syngué Sabour, pierre de patience, Editions P.O.L., collection Folio, 144 pages.

Lire d'autres avis : le journal d'une lectrice, à fleur de mots, un moment pour lire, chez Gangouéus.

3 commentaires:

Jackie Brown a dit…

Tu en parles bien. Moi, j'ai eu beaucoup de mal à le terminer.

Liss a dit…

C'est vrai que c'est un livre dur, mais l'envie de savoir comment ça se termine nous entraîne jusqu'à la fin. Est-ce cette violence qui t'a un peu freinée ou autre chose ?

Jackie Brown a dit…

A vrai dire, je ne m'en souviens plus. C'était peut-être juste un manque d'intérêt.