mercredi 4 avril 2012

Les fautes de Français ? Plus jamais ! de Julien Lepers

"Que celui qui n'a jamais fait de faute de français me jette la première pierre !"

C'est ainsi que Julien Lepers commence son livre. Difficile, je dirais même impossible, pour les francophones, de déclarer n'avoir jamais offensé la langue de Molière au moins une fois dans leur vie d'usagers de cette langue capricieuse. Oh, bien sûr il s'agit souvent d'offenses inconscientes, et même parfois nous sommes persuadés d'être dans le vrai ! Si par malheur nous n'avons pas LE juge à nos côtés, autrement dit le dictionnaire, si nous ne le consultons pas, nous restons embourbés dans notre fausse vérité.


Entre le genre d'un mot, qui peut parfois s'avérer aléatoire ; les expressions toutes faites, entendues souvent à la radio ou à la télévision, et que nous reprenons à notre compte alors qu'elles sont incorrectes ; les mots similaires que nous prenons parfois les uns pour les autres ; et surtout la prononciation, véritable trappe dans laquelle nous tombons régulièrement... les occasions de se retrouver en tort vis-à-vis de la langue française sont multiples et variées. Cette vérité vous frappe avec d'autant plus d'acuité que vous vous intéressez de près à cette langue, à son utilisation. Pour peu que vous ayez l'habitude de vous tenir devant un auditoire ou de vous exprimer par écrit, vous vous rendez compte combien le dictionnaire devient une arme, non pas utile, mais vitale. C'est d'elle que dépend votre salut !

Et les francophones de France ou nés en France ne sont pas mieux lotis que les autres. Au contraire, ces derniers manifestent parfois plus de rigueur que les natifs français qui se découragent plus vite devant la complexité de leur langue, comparés à ceux qui l'ont apprise à l'école. C'est un constat qui émerveille tellement Julien Lepers qu'il rend hommage aux francophones du monde entier :

"Depuis vingt-quatre ans, j'anime le jeu "Questions pour un champion". De manière régulière, la production organise des compétitions auxquelles participent des candidats venus du monde entier.
Je fonds d'admiration devant ces Vietnamins, ces Camerounais ou ces Laotiens qui s'expriment dans une langue exempte de toute aspérité. Quelle joie de les entendre ! (...) Quel bonheur de retrouver grâce à eux l'élégance du français, alors même que ses complexités nous détournaient de lui ! (...)
Vous m'avez montré qu'on aime parfois mieux le français à Baalbek qu'à Bordeaux, et qu'on le respecte plus à Tanger qu'à Cannes ou à Paris."
(Les fautes de français que je ne ferai jamais plus, pages 17 à 19).

Julien Lepers ne se présente donc pas dans ce livre comme celui qui, irréprochable, donne des leçons aux autres. C'est plutôt l'animateur de radio et de télévision qui, au bout de nombreuses années, fait le compte de son expérience et veut la partager avec d'autres, car aujourd'hui, il n'est plus le même que celui qu'il était hier et ce, grâce aux auditeurs ou aux téléspectateurs qui lui ont écrit pour lui signaler telle erreur commise pendant qu'il s'exprimait à l'antenne. C'est ainsi qu'il a appris à être vigilant. En outre, lui-même, amoureux des choses justes, voue à la langue française un tel amour qu'il n'en faut pas plus pour qu'il se mette à faire la guerre aux erreurs. En bon fils de musiciens, il déclare :

"Les fausses notes me chatouillent les oreilles. Elles me contrarient.
Une faute de français me fait le même effet qu'une fausse note."
(page 15)

Le livre comporte plusieurs chapitres, consacrés chacun à une difficulté de la langue française contre laquelle on bute souvent : la prononciation, les anglicismes inutiles ou ridicules, l'emploi des temps, de certains verbes intransitifs mais employés avec un complément d'objet direct... Il est par exemple incorrect de dire "démarrer l'émission" ou "débuter sa carrière", car les verbes "démarrer" et "débuter" sont intransitifs. Quant à l'utilisation des pronoms relatifs et autres mots subordonnants, elle donne souvent lieu aux pires incorrections. Trouvez l'erreur dans la phrases "C'est de cela dont il s'agit"... Oui, bien sûr, le pronom "dont" comporte déjà la préposition "de", ainsi il faudrait plutôt dire "c'est de cela qu'il s'agit".

J'ai particulièrement aimé le chapitre intitulé "Les maux des mots", où l'auteur parle entre autres de l'écueil que représente le genre des noms, des clichés et surtout des pléonasmes, tellement récurrents et généralisés ! Les formules comme "égalité parfaite", "bref résumé", "solidaires les uns des autres", "bip sonore", "don gratuit", "grand maximum", "comme par exemple", "taux d'alcoolémie" etc., ne nous choquent plus, et pourtant elles ne sont pas élégantes ! Julien Lepers propose même des exercices, pour le plaisir de s'évaluer soi-même. L'avantage de ce livre, c'est qu'il nous ramène à l'école d'une manière ludique. L'humour de l'auteur, la façon dont il présente les choses, les jeux sur le langage... ne contribuent pas peu à nous faire entendre son enseignement avec plaisir, comme s'il s'agissait d'un bon moment de récréation et non d'un "cours".

Julien Lepers se prend parfois à faire l'histoire d'un mot, d'une expression. Ou bien il apporte simplement des précisions sur le sens des mots. Dans tous les cas,  ses éclairages sont intéressants. Par exemple, quelle différence faites-vous entre un "meurte", un "assassinat" et un "homicide" ? Eh bien :

"On appelle homicide le fait de causer la mort d'autrui, volontairement ou involontairement.
Mais on commet un meurtre en tuant quelqu'un volontairement.
Et on commet un assassinat si, de surcroît, le meurtre a été prémédité." (page 155)

Bref, j'apprécie la démarche de l'auteur, confiant au lecteur les doutes qui l'ont parfois saisi face à une difficulté, et partageant avec lui les découvertes auxquelles ceux-ci l'ont conduit. Cela m'a rappelé ou fait penser à des expériences que j'ai moi-même vécues. Et justement il y a un point sur lequel j'aimetrais bien discuter avec lui, si j'en avais l'occasion. Il s'agit de la prononciation du verbe "interpeller". Je me souviens qu'une fois, devant les élèves, j'ai hésité, car s'il faut appliquer la leçon, le "e" devant un double "t" ou un double "l" se prononce "è". Or on entend souvent "interpeuler", comme si dans ce mot, le "e" échappait à la règle. Sachant d'expérience que ce qu'on entend souvent à la radio ou à la télé n'est pas forcément vrai (d'où la malheureuse propagation de grossières erreurs), j'avais immédiatement consulté le juge, et là, je trouve effectivement la confirmation que "interpeller" doit se prononcer "interpeuler". Cependant Julien Lepers dans son livre préconise de prononcer "interler", en application de la règle. Ses conclusions sont le fruit des recherches qu'il a menées de son côté. Alors, quelle prononciation adopter ? Laquelle est la plus juste ?

J'en arrive à cette conclusion : la langue française est d'une complexité tellement désarmante que les ouvrages de langue eux-mêmes peuvent contribuer à rendre la situation encore plus inextricable. J'en ai fait l'expérience il y a peu avec un parent et ami vers lequel je me tourne souvent car nous partageons l'amour de la littérature et la volonté de chasser les impuretés du langage. Eh bien on n'était pas d'accord sur la conjugaison d'un verbe similaire au verbe "interpeller". Il s'agissait du verbe "feuilleter". Moi je lui disais qu'il devait se conjuguer au présent comme "peler" : je pèle, tu pèles, il pèle, nous pelons... donc je feuillète, tu feuillètes, nous feuilletons etc. Et lui soutenait que c'était, comme pour "appeler" (j'appelle, nous appelons) : je feuillette, tu feuillettes, il feuillette, nous feuilletons... Il m'a même envoyé un extrait de roman proposé en étude à l'épreuve de Français du Brevet. Eh bien, en consultant une fois de plus mes usuels, j'ai découvert que le dictionnaire Robert (le plus fiable en ce qui concerne la langue) indiquait dans le tableau des conjugaisons qu'on doit écrire "je feuillette", comme "j'appelle" ou "je jette", tandis que le Bescherelle indiquait le contraire : "je feullète", comme "je pèle"... Allez donc savoir qui a raison, à moins de se dire que les deux solutions sont bonnes, comme le suggère mon confrère.

Pour terminer, je tiens à remercier mon père, qui le premier m'a parlé de la parution de ce livre, et pourtant il réside au Congo, et pourtant il est retraité aujourd'hui, mais les réflexes de l'enseignant sont restés aussi vifs chez lui que du temps de sa carrière : sauter sur la moindre occasion d'apprendre davantage, d'être plus éclairé aujourd'hui qu'hier ! C'est lui qui m'a appris qu'un enseignant est un éternel élève.
Je te dois beaucoup, cher papa ! Merci de m'avoir fait découvrir ce livre. Je te l'envoie !


Julien Lepers, Les fautes de français que je ne ferai jamais plus, Editions Michel Lafon, 2011, 415 pages, 18.95 €.

2 commentaires:

St-Ralph a dit…

Un bel article Liss ! Parler une langue, c'est comme pétrir une pâte. Il y a certes des règles. Le problème, c'est qu'il nous arrive de ne pas être d'accord avec la règle. Et cela sans doute parce que la pratique évolue avec le temps.
Déjà, dans la série de pléonasme que tu relèves, celui qui ne me choque pas est "égalité parfaite" pour la simple raison qu'une égalité peut être jugée relative. Je constate pour ma part que certains sont devenus si courants que non seulement ils ne choquent pas mais semblent même admis... uniquement à l'oral pour le moment. Tout le problème est de savoir à quel moment telle ou telle expression incorrecte sera - grâce à la pratique populaire qui ne s'encombre pas de règles - finalement acceptée comme faisant partie de la langue. Quand elles ne choquent plus, c'est qu'elles sont en voie d'être admises. Seuls les puristes les évitent.
C'est toujours avec plaisir que je pense à cette anecdote concernant François 1er. Il provoqua le rire des hommes de sa cour à son retour d'exil quand il annonça ; "C'est moi le roi [c'est mwè le rwè]". Avant son départ pour la guerre de Pavie où il fut vaincu et fait prisonnier par Charles Quint, la mode était de prononcer le mot mots terminés en "oi" "wè". Durant son exil, le son "wa" avait triomphé du son "wè". C'était pourquoi notre roi était devenu risible à sa manière de parler.
Je me réjouis de ta trouvaille que je vais acheter pour le plaisir de me promener dans les pièges de la langue française. C'est vrai que les Francophones qui ont bénéficié de l'enseignement de l'époque coloniale et des trente premières années des indépendances (je fixe cette limite en pensant à la Côte d'Ivoire) manient avec plus d'élégance la langue française que les Français nés en France. Malgré tout le bien que l'on dit de ma manière de m'exprimer, ce que je redoute le plus c'est la faute de langue ou l'incorrection.
Je m'arrête là, car je risque d'être excessivement long.

Liss a dit…

Plus tu es long, St-Ralph, plus mon plaisir de te lire est accru, je crois l'avoir déjà exprimé, et je pense que les familiers de cet espace éprouvent la même chose que moi, non seulement parce que tu dis des choses justes et profondes, mais aussi parce que tu les dis bien : dans le cercle de ceux qui disent du bien de ta manière de t'exprimer il faut me compter aussi (rires).

Avec toi, on apprend toujours concernant l'histoire, je ne connaissais pas cette anecdote concernant François 1er (tu connais mon ignorance !), et je la trouve très édifiante, elle illustre bien le propos en effet !

Ce livre est intéressant et chacun devrait avoir la curiosité de le lire pour savoir où il en est, pour approuver ou désapprouver, mais comme tu le dis si justement, l'usage prend souvent le pas sur la règle !