mardi 9 avril 2013

INTERVIEW de Ralphanie Mwana Kongo pour le magazine AMINA

Difficile d'aborder toutes les questions, de suivre toutes les pistes qu'on aurait souhaité dans un article. Ma critique du roman La Boue de Saint Pierre est forcément concise. Cette interview accordée par l'auteure m'a ainsi permis de revenir avec elle sur certains points. Elle est parue dans le numéro 516 du magazine AMINA (avril 2013).



Avec la Boue de Saint-Pierre, son premier roman, Ralphanie Mwana Kongo nous entraîne dans les rues boueuses de Saint-Pierre, un quartier insalubre où la population essaie tant bien que mal de s’en sortir. Nous sommes à Tanu, pays imaginaire d’Afrique centrale. A côté des ‘‘misérables’’ de Saint-Pierre, il y a les nantis, qui ont des maisons, des voitures, qui préfèrent jeter de la nourriture dans les poubelles plutôt que de la voir faire le bonheur d’une famille dans le besoin. Tanu est à l’image des sociétés modernes : très antinomique. Pauvreté excessive d’une part, richesse insolente de l’autre. Explications de l'auteuire.

 
Ralphanie Mwana Kongo, l’image que vous donnez de la femme dans votre roman est très satirique : mères indignes, fille qui ne tente rien pour s’en sortir même si le sursaut intervient plus tard, épouse ingrate et infidèle… vos personnages féminins n’illustrent pas la pensée selon laquelle la femme est l’avenir de la société…

(Sourire de l’auteur) Je n’ai pas le sentiment d’avoir gratifié les personnages masculins de mon roman d’une image plus reluisante. Mais en même temps l’exercice d’écriture que j’ai entrepris ne consistait pas à comparer les hommes aux femmes ; c’est de l’Humain que j’ai voulu parler, l’Humain dans ce qu’il peut avoir de louable ou de méprisant, peu importe le genre auquel il appartient.
La femme, l’avenir de la société ? Mais qu’est la femme sans l’homme, et vice versa ? Je crois, moi, en la complémentarité des sexes pour la construction d’une société plus juste.
 

La boue du quartier Saint-Pierre où évoluent vos personnages, et qui donne son titre au roman, illustre-t-elle l’implacable misère dans laquelle pataugent certaines couches des sociétés africaines ?

Disons qu’au-delà de son aspect factuel (en rapport avec l’état même des rues), la boue symbolise ici la crasse, la souillure. Je me suis attelée à décrire les mœurs des résidents de ce quartier pauvre qu’est Saint-Pierre, faisant ainsi un lien étroit entre misère et vices. La pauvreté déprave l’Homme, il est ce fumier sur lequel germent des maux tels que la prostitution, l’escroquerie, …

Dans votre roman, deux jeunes enfants sont traités comme des domestiques, voire des esclaves, par leur grand-mère qui les considère plus comme une main d’œuvre gratuite que comme des petits-enfants. Ces actes sont condamnables, bien sûr, mais faut-il pour autant généraliser et présenter l’initiation des jeunes aux travaux domestiques comme une mauvaise chose ?

Non, l’initiation des enfants aux travaux domestiques n’est pas une mauvaise chose en soi. Bien au contraire ! Et nous avons tous appris au contact de nos mères, nos aîné(e)s … Seulement un enfant doit baigner dans l’insouciance propre à son âge, avoir accès aux loisirs utiles à son épanouissement, et ne devrait en aucun cas assumer des responsabilités d’adulte  - je fais ici allusion par exemple à ces petites filles qui secondent leur mère, qui doivent en permanence s’occuper de leurs cadets ; ces enfants à qui l’on attribue un rôle qui ne devrait pas être le leur.

 
Vous dénoncez dans votre livre, je cite : « une société basée sur le tabou, les non-dits, les silences complaisants ». En publiant ce roman, espérez-vous que les langues se délient ? Connaissez-vous des personnes dans votre entourage qui ont subi des choses ignobles comme l’inceste et qui ne se sont pas révoltées ?

Le tabou est encore beaucoup trop présent dans nos sociétés africaines. Il faut dire qu’il est également difficile pour une victime - qui nourrit un sentiment de culpabilité - de dénoncer les sévices qu’elle subit. Et c’est surtout parmi les proches, dans le voisinage, que les langues devraient davantage se délier, que des mesures doivent être prises pour mettre un terme à ces choses et punir leur auteur.
Non, je n’ai eu vent d’aucun acte d’inceste dans mon entourage immédiat, heureusement !

 
Peut-on s’émanciper quand on n’a aucun soutien, quand la société refuse de voir votre calvaire ?

Cela est difficile, mais demeure toutefois possible. Gaspard Tala, l’un des principaux personnages de mon roman, parvient à trouver sa voie grâce à la couture. Plus tard sa sœur Pélagie, prendra conscience qu’elle peut à son tour s’affranchir du joug d’un compagnon irresponsable et brutal, et assurer son avenir ainsi que celui de ses enfants grâce à son talent (qui est le tricot).

 
La  Boue de Saint-Pierre est votre premier roman, qu’est-ce qui a été votre moteur ? Qu’est-ce qui a motivé votre désir d’écriture ?

Je rêve d’écrire depuis mes plus jeunes années. Et ce premier roman est né d’une empathie sur la condition de certains individus. Je conçois l’écriture comme un outil, une arme dont on peut aisément se servir pour dénoncer certaines choses. J’écris parce qu’il y a des réalités qui me dérangent.

 
Vers la fin du roman, le dirigeant au pouvoir est renversé par l’un de ses proches, après avoir régné en dictateur durant plusieurs décennies. Et voici ce que nous lisons à la page 151 : « Bukuta était un diable auquel on s’était accommodé au fil des ans. Et un diable qui vous est familier est bien plus rassurant qu’un inconnu, dont on ne sait s’il se conduira en ange ou en démon cent fois plus ignoble encore que son prédécesseur. » La dictature est-elle tolérable lorsqu’elle est gage de stabilité ?

Rien ne peut justifier la dictature. Dans cet extrait, l’auteure que je suis retranscrit la pensée de ces peuples marqués à jamais par un sombre passé fait de guerres civiles et d’insécurité politique, et pour lesquels des maux, tels que le chômage et la pauvreté, deviennent supportables pour peu qu’on leur garantisse une paix même précaire. Et l’homme qui sera parvenu à les sortir de la guerre, à faire régner un semblant de paix dans le pays, les rassure bien plus qu’un nouveau dirigeant – surtout quand celui-ci prend le pouvoir par la force - dont ils ne peuvent encore prévoir la bonne ou mauvaise « gouvernance ».

 
En plus de lire La Boue de Saint-Pierre, quel(s) roman(s) conseilleriez-vous à nos lecteurs ?

Temps de chien, de Patrice Nganang. Un très bon roman !

 
Propos recueillis par Liss Kihindou

2 commentaires:

Cunctator a dit…

"Je rêve d’écrire depuis mes plus jeunes années. Et ce premier roman est né d’une empathie sur la condition de certains individus. Je conçois l’écriture comme un outil, une arme dont on peut aisément se servir pour dénoncer certaines choses. J’écris parce qu’il y a des réalités qui me dérangent."

Elle a l'air géniale cette auteur. Bien engagée et avec en sus des tripes. Je retrouve une certaine résonnance avec ce que je pense de la condition des femmes dans les sociétés d'Afrique Centrale. Leur silence complaisant et leur posture passive en font les complices de leur sort trois fois triste.
Bravo à l'auteur en qui, on le pressent scintille beaucoup de sensibilité et d'intelligence. Quand j'aurai lu, je pourrai terminer en disant: "enfin une bouffée d'air frais dans cette littérature encroutée dans ses schémas et dans une langue bizarre"

Liss a dit…

Cette "littérature encroûtée dans ses schémas" ? Hum, hum ! Tu donnes à méditer, à réfléchir, à se demander quelles sont ces croûtes dont il va falloir se débarraser à coups de plume !