dimanche 30 janvier 2011

Le Clan Boboto, de Joss Doszen

Le Clan Boboto se détache des autres oeuvres que Joss Doszen a publiées à ce jour : il fait figure de pilier. L'auteur a voulu dire tout ce qu'il avait sur le coeur concernant les cités : la vie qui y grouille, la jeunesse qui s'y construit, les drames qui s'y trament. Disons même qu'il a voulu cracher toutes les glaires qui les encombrent. Qu'il s'agisse de ce qui se fait ou de ce qui se dit sur elles, tout entache leur réputation et l'illustration de première de couverture le montre bien.


L'auteur se met dans la peau de chacun des membres d'une famille qui a débarqué, ou plutôt échoué à la "zone négative" : les Boboto. Outre Scotie, Andriy, Mina ou Karis qui forment une fratrie consanguine, on compte également parmi eux des personnages comme Bany, le cousin venu d'Afrique ou Schearo, le "frère" blanc. D'où le choix du terme "clan" pour parler d'eux. On pourrait rajouter Djamila et Arléna, mais elles n'ont pas de chapitres éponymes.

Cette succession de voix donne un roman composé de chapitres qui pourraient se lire comme des nouvelles indépendantes. Elles se font cependant écho et forment, en souterrain, un réseau de signification tout à fait subtil. Croisée de regards, confrontation de valeurs, diversité de tons. Mais au fond, le ton est le même : celui de la sincérité. Chacun des personnages-narrateurs apparaît dans le chapitre qui lui est consacré dans toute sa vérité, dans toute sa complexité aussi : à la fois dur et doux, docile et dominateur. Direct surtout. Tous ont été forgés par la rudesse de la vie telle qu'on peut la vivre dans une cité où on a voulu parquer toutes les personnes venues d'ailleurs du secteur. Le résultat est forcément explosif, au propre comme au figuré.

La force des cités ? L'appartenance à un groupe. Le besoin de créer des liens afin de se sentir plus fort est viscéral, vital même. Bien plus que ces liens sociaux concrétisés au travers des bandes par exemple, c'est l'esprit de famille, c'est son unité qui a donné au clan Boboto sa capacité de résistance face à tous les événements qui auraient pu les ensevelir. Ils avaient beau choisir des trajectoires différentes, il y avait toujours chez euz la volonté de donner un équilibre à la famille, de le maintenir tant bien que mal.

J'ai particulièrement aimé le début et la fin. Le premier chapitre est un portrait vraiment réussi et il accroche dès la page liminaire, celle où le personnage se présente sommairement et de manière poétique. Cette triple présentation de Bany, en français, en anglais et en lingala est tout simplement savoureuse. Il ne s'agit pas simplement d'une traduction du texte français, mais de l'expression du moi de Bany de manière que, bien que disant la même chose dans le fond, les textes sont différents et assaisonnés des épices propres à chacune des langues. C'est un joli morceau de bravoure de la part de Bany et un texte savoureux pour le lecteur, comme je l'ai dit plus haut.

Le dernier chapitre est émouvant car il raconte l'histoire des parents et lève par la même occasion le voile sur tous les personnages. En parlant d'émotion, je dirais également que la voix de Karis est touchante, mais laquelle ne l'est pas ? L'accent de sincérité qui pointe dans chacune d'elle rend tous les personnages attachants, même s'ils sont loin d'être des enfants de choeur. Leur sensibilité transparaît, surtout à travers leur recherche de l'amour, ce qui peut praître paradoxal au vu de leurs multiples aventures. 

Vous l'aurez compris, j'ai apprécié ce "conte urbain" et je vous le recommande vivement.

Joss Doszen, Le Clan Boboto, conte urbain, autoédition Loumeto,  septembre 2009, 212 pages.

Pour en savoir davantage et commander le livre :
http://www.doszen.net/Doszen%20site_lundi02_files/page0003.htm

samedi 15 janvier 2011

Après vous, M. de La Fontaine, Contrefables de Gudule

Si vous êtes un familier de l'émission littéraire "La Grande Librairie", animée par François Busnel sur France 5, vous avez dû suivre, avec beaucoup de délectation, celle du 16 décembre. En effet les invités, nombreux, devaient se prononcer sur le meilleur et le pire de la littérature.  Parmi eux Alain Mabanckou, qui a encensé L'Ivrogne dans la brousse, d'Amos Tutuola et "descendu" Ethiopiques, de Léopold Sédar Senghor. René de Obaldia, lui, est un grand admirateur de Jules Verne, en particulier de son Tour du Monde en 80 jours, tandis qu'il vous déconseille toute l'oeuvre du marquis de Sade. Cela m'a aussitôt fait penser à une grande discussion sur le blog de Kangni Alem sur la "Littérasexe", où les uns et les autres recommandaient de lire Sade, le "maître" en la matière. Je m'étais alors promis de lire enfin cet auteur controversé, mais je n'ai toujours pas eu le temps de le faire.

Il y avait aussi, parmi les invités, Gérard Oberlé, dont j'ai souvent apprécié les interventions. Pour sa part il n'a de cesse de relire Les Essais de Montaigne tandis qu'il a gardé une dent contre les Fables de La Fontaine. La Fontaine, vous rendez-vous compte ? Pourquoi donc ce génial écrivain du XVIIe siècle, qui a su donner une nouvelle vie à des textes qui avaient été écrits par Esope, en premier, au VIe avant Jésus Christ, repris ensuite par Phèdre au Ier siècle après Jésusè-Christ ? Mais il faut tout de même reconnaître que c'est La Fontaine qui les a popularisés, qui leur a donné ce je ne sais quoi qui fait que nous nous nous sommes tous désaltérés auprès de La Fontaine, nous avons goulûment bu à cette source et, en gage de notre reconnaissance, nous sommes capables de réciter au moins une de ses fables. Qu'est-ce qui chagrine donc Gérard Oberlé ?

Eh bien il a exprimé, à propos des fables de La Fontaine, un sentiment que nous sommes nombreux à avoir éprouvé : une déception; une certaine amertume lorsqu'on considère le dénouement de bon nombre d'entre elles. Gérard Oberlé a donné, bien à propos, l'exemple de "La Cigale et La Fourmi", où la dernière se montre d'un égoïsme inouï : elle refuse de prêter, alors que La Cigale était prête à emprunter même au taux le plus fort : elle rembourserait ! Cela n'aurait-il pas arrangé ses affaires ? Elle aurait dans le même temps rendu service à sa camarade en difficulté. Mais non, La fourmi préfère que la Cigale crève de faim. Ce manque d'humanisme est on ne peut plus décevant, mais La Fontaine n'a fait que traduire la réalité de la vie qui nous offre chaque jour l'exemple d'une méchanceté toujours plus accrue parmi les hommes.

N'empêche que ce sentiment de révolte, que l'on peut légitimement éprouver face au défaut d'humanisme qui abonde dans les Fables de La Fontaine, a poussé un auteur à proposer une suite à celles-ci. Il s'agit de Gudule, qui a tellement souffert du "sort ingrat réservé aux plus faibles, dans ces textes" qu'elle se propose, dans son recueil de contrefables, de "rendre justice aux victimes".  Elle inverse donc la tendance dans son livre. Elle reprend 24 fables de la Fontaine, parmi les plus célèbres, qu'elle continue en terminant par une morale plus humaine.  C'est un vrai régal.

Le premier texte à être revisité, c'est le "Corbeau et le Renard". Au lieu du fameux : "Le Corbeau, honteux et confus / Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus", Gudule imagine cette suite : alors que le Renard se repaît du fromage qu'il s'est habilement approprié, un chasseur survient, prêt à faire feu sur l'animal, à ce moment-là le Corbeau, qui aperçoit le "camembert" abandonné, le récupère et gêne le chasseur qui finalement rate sa cible. Le Renard est sauvé, mais il croit aussi qu'il va rester affamé. Quelle surprise lorsque le Corbeau lui propose de partager avec lui le repas ! La contrefable de Gudule se termine donc par la proposition de celui à qui on a fait du tort, mais qui pardonne volontiers :

Plutôt que de chercher l'un à l'autre à nous voler 
Pourquoi ne pas nous entraider ?
Honteux et confus, le Renard
De la proposition admit le bien-fondé,
Jurant, mais un peu tard,
D'exercer désormais la solidarité.

Dans "La Cigale et la Fourmi" dont nous avons longuement parlé, on a vu que la Cigale est condamnée à mourir de faim. Mais dans la contrefable de Gudule, voici ce qu'elle décide de faire :

Je veux, dans un dernier effort
Arracher à mon instrument
Ses plus pathétiques accords.
Cet ultime concert sera mon testament.

Et, oh miracle ! les fenêtres s'ouvrent : touchés par "Une plainte si émouvante / Si belle, si sauvage et si triste à la fois", les bourgeois lui font l'aumône. La Cigale recueille rapidement de quoi subsiter jusqu'à la saison nouvelle. Et Gudule de conclure :

Quand avec apparat la misère s'exprime
Elle acquiert du public les faveurs unanimes :
Gosier mélodieux n'implore pas en vain.
Mais il est tant de gens qui ne savent pas geindre
Qu'on ne devine pas, en croisant leur chemin,
Qu'ils sont seuls, démunis, qu'ils ont froid, qu'ils ont faim.
Les pauvres sans talent sont bien les plus à plaindre !

J'aimerais également vous parler des "Animaux malades de la peste", du "Loup et l'Agneau", du "Laboureur et ses enfants", mais je vais vous ôter le plaisir de la découverte. Alors faites comme moi, lisez Après vous, M. de La Fontaine, de Gudule, vous relirez par la même occasion les plus belles fables de La Fontaine.

Gudule, Après vous, M. de La Fontaine, Contrefables, première édition en 1995, édition du Livre de Poche Jeunesse en 2003, 92 pages, 4.90 €.

Anne Duguël, dite Gudule, est née à Bruxelles en 1945. Elle a écrit de nombreux textes, essentiellement destinés à la jeunesse, parmi lesquels La Bibliothécaire, que j'adore notamment pour son abondante intertextualité.

Le lien vers la Bibliothèque idéale des invités de l'émission du 16 décembre 2010 de La Grande Librairie :

samedi 1 janvier 2011

Bonne Année 2011 !

Si vous me lisez, c’est que vous faites partie des heureux élus qui ont accédé à la rive de 2011, les élus de la vie.

Alors, qu’allons-nous faire de cette chance ?

Nous n’allons tout de même pas la salir avec nos regrets !

Nous n’allons pas la corrompre avec nos mauvaises pensées !

Nous n’allons surtout pas la laisser dépérir. Il nous faut au contraire la nourrir de nos ambitions, de nos réalisations, de notre vitalité tout simplement !

Soyons vivants : aimons, lisons, écrivons !

Bonne année 2011 !