mardi 22 juin 2010

La Promesse de l'aube, de Romain Gary

La Promesse de l'aube est une promesse de lecture que je m'étais faite il y a plusieurs années maintenant, mais j'aurais peut-être encore tardé à la tenir s'il n'y avait eu la magie des blogs, qui savent opérer des bouleversements dans votre liste de lecture : un livre à lire dans un avenir plus ou moins lointain se retrouve du jour au lendemain en tête de liste. Zarline et je ne me rappelle plus quel autre blog sont donc coupables de grave incitation à la lecture de ce roman, sous le charme duquel je suis tombée. C'est tout simplement une "valeur sûre". On a coutume de dire que les goûts ne se discutent pas, mais je vous assure que, si vous lisez La Promesse de L'aube sans la trouver chargée de Beauté, c'est que vous manquez de goût. Vous et moi ne nous entendrons jamais et c'est d'ailleurs très peu probable que nous nous rencontrions car vous habitez loin, très loin de la terre des belles lettres.

(photo de Romain Gary et de Jean Seberg, sa deuxième compagne)

Roman Kacew est un "mélange de sang juif, cosaque et tartare" (p. 279) Il est né en Russie, d'une mère dont le courage, la détermination et la force de conviction sont incomparables. Ce roman autobiographique est le témoignage de la foi inébranlable d'une mère en son fils. Romain n'a pas plus de huit ans, lorsque sa mère crie à ses voisins peu aimables : "Vous ne savez pas à qui vous avez l'honneur de parler ! Mon fils sera ambassadeur de France, chevalier de la Légion d'honneur, grand auteur dramatique, Ibsen, Gabrielle d'Annunzio !" Elle fera tous les sacrifices, endurera toutes les peines et les privations, multipliera les actions pour l'avènement de ce brillant avenir. Le roman est une belle illustration de la parole qui dit "la foi soulève les montagnes". Si tous les professeurs, tous les parents pouvaient avoir la même confiance dans les capacités de leurs élèves, de leurs enfants, on recenserait beaucoup moins d'échecs. Romain Gary sera en quelque sorte ce que sa mère avait prédit : Consul général de France, compagnon de la Libération, officier de la Légion d'honneur, lauréat (deux fois !) du prix Goncourt...

Conquis par la ferme assurance de sa mère, le jeune garçon est résolu à faire éclore le(s) talent(s) qu'il est censé posséder, moins par désir personnel de gloire que pour faire plaisir à sa mère et la récompenser pour son extrême dévouement. Il essaiera tour à tour la musique, la danse, la peinture, la scène, le sport... avant de se "résigner" à la Littérature. Il passera de longues heures à trouver un pseudonyme convenable, c'est-à-dire, du point de vue de la mère, français, car celle-ci a une autre obsession en dehors de son fils, celle de la France, pays des droits de l'homme, patrie de la vertu et de la liberté... Cette France imaginaire n'a rien à voir avec la réalité, Romain en fera l'expérience, mais l'amour pour ce pays ne sera en rien diminué.

Romain sera naturalisé Français, prendra le pseudonyme de Romain Gary, et ce roman autobiographique peut être lu comme une déclaration universelle d'amour : amour pour sa mère, pour sa patrie, pour l'être humain qu'il veut "sauver" de tous les dieux qui le guettent : le dieu de la bêtise, celui qui "se réfugie de plus en plus dans la science pure, et on peut le voir souvent penché sur l'épaule de nos savants ; à chaque explosion nucléairte, son ombre se dresse un peu plus haut sur la terre" ; le dieu des vérités absolues. Chaque fois que celui-ci "tue, torture et opprime au nom des vérités absolues, religieuses, politiques ou morales, la moitié de l'humanité lui lèche les bottes avec attendrissement" ; le dieu de la petitesse, des préjugés, du mépris, de la haine, celui qui, "penché hors de sa loge à l'entrée du monde habité, est en train de crier "Sale Américain, sale Arabe, sale Juif, sale Russe, sale Chinois, sale Nègre" [...] c'est un des dieux les plus puissants et les plus écoutés, que l'on trouve toujours dans tous les camps, un des plus zélés gardiens de notre terre, et qui nous en dispute la possession avec le plus de ruse et le plus d'habileté." (p.15-16)

Vous trouverez dans ce livre des réfléxions intéressantes, profondes sur les thèmes suivants : amour, humour, racisme, guerre, littérature, art, patrie.

Et puis j'ai envie de me montrer très généreuse (c'est le roman qui m'y pousse) et à vous servir de larges extraits. Par exemple cet épisode particulièrement savoureux (c'est le cas de le dire !), qui donne une idée à la fois de la condition de jeune écrivain, de l'humour de l'auteur et de son humanisme.

Romain voit une de ses nouvelles publiée dans le journal Gringoire. La rémunération qu'il perçoit lui fait perdre la tête : il se laisse aller à des dépenses insensées, convaincu qu'il ne tirera plus le diable par la queue. Il croit aussi que tous ses écrits vont désormais être publiés sans réserve.


Je m'achetai une boîte de cigares et une veste de sport. Les cigares me donnaient mal au coeur, mais résolu à bien vivre, je les fumai jusqu'au dernier. Là-dessus, saisissant mon stylo, j'écrivis coup sur coup trois nouvelles, lesquelles me furent toutes renvoyées, non seulement par Gringoire, mais aussi par tous les autres hebdomadaires parisiens. Pendant six mois, aucune de mes oeuvres ne vit la lumière du jour. Elles étaient jugées trop "littéraires". Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. [...] Il me fallut beaucoup de temps pour admettre que le lecteur avait droit à certains égards et qu'il fallait bien lui indiquer, comme à l'Hôtel-Pension Mermonts, le numéro de la chambre, lui donner la clef, et l'accompagner à l'étage pour lui montrer où se trouvent la lumière et les objets de première nécessité.
Je me trouvai très rapidement dans une situation matérielle désespérée. [...]
Une soirée particulièrement sombre me revient à l'esprit chaque fois que je pense à cette période de ma vie. Je n'avais rien mangé depuis la veille. J'allais souvent rendre visite à un de mes camarades, qui habitait avec ses parents aux environs du métro Lecourbe, et j'avais remarqué qu'en calculant bien mon arrivée, on me demandait presque toujours de rester dîner.
Le ventre creux, je décidai de leur faire une petite visite de courtoisie, je pris même un de mes manuscrits avec moi, pour en faire la lecture à M. et Mme Bondy, me sentant très bien disposé à leur égard. J'avais une dent énorme et je calculai soigneusement mon temps pour arriver au potage. Je commençai à sentir nettement le fumet délicieux de ce potage aux pommes de terre et poireaux dès la place de la Contrescarpe, alors que quarante-cinq minutes de marche me séparaient encore de la rue Lecourbe - je n'avais pas de quoi m'offrir le métro. J'avalais ma salive, et mon regard devait avoir une lueur de concupisecnce folle, parce que les femmes seules que je croisais s'écartaient légèrement et pressaient le pas. J'étais à peu près sûr qu'il y aurait aussi du salami hongrois et du gâteau au chocolat, il y en avait toujours. Je crois que je ne me suis jamais rendu à un rendez-vous d'amour avec, dans mon coeur, une plus merveilleuse anticipation.
Lorsque j'arrivai enfin à destination, débordant d'amitié, personne ne répondit à mon coup de sonnettte : mes amis étaient sortis.
Je m'assis dans l'escalier et attendit une heure, puis deux. Mais vers onze heures, un sentiment élémentaire de dignité - il vous en reste toujours quelque part - m'empêcha d'attendre jusqu'à minuit leur retour, pour leur demander à manger.
Je me levai et refis en sens inverse la maudite rue de Vaugirard, dans un état de frustration que l'on imagine.
Et c'est là que se situe un autre sommet de ma vie de champion.
Arrivé au Luxembourg, je passai devant la brasserie Médicis. La malchance voulut qu'à cette heure tardive je pus voir, à travers le rideau en tulle blanc, un brave bourgeois en train de manger un chateaubriand et m'évanouis tout bonnement.
Mon évanouissement n'était pas dû à la faim. Je n'avais certes pas mangé depuis la veille, mais j'avais à cette époque une vitalité à toute épreuve et il m'était arrivé souvent de demeurer deux jours sans nourriture et sans pour cela me dérober à mes obligations, quelles qu'elles fussent.
Je m'étais vanoui de rage, d'indignation et d'humiliation. Je ne pouvais admettre qu'un être humain pût se trouver dans une telle situation, et je ne l'admets pas encore aujourd'hui. Je juge les régimes politiques à la quantité de nourriture qu'ils donnent à chacun, et lorsqu'ils y attachent un fil quelconque, lorsqu'ils y mettent des conditions, je les vomis : les hommes ont le droit de manger sans condition.
[p. 210 à 214]


Je ne peux pas non plus ne pas vous citer un des passages clef du roman, pour ne pas dire le passage principal, qui résume la vie de Romain Gary, justifie le titre :


Il n'est pas bon d'être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ca vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c'est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube d'une promesse qu'elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu'à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son coeur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d'amour, mais vous êtes au courant. [...] Vous avez fait, dès la première lueur de l'aube, une étude serrée de l'amour et vous avez sur vous de la documentation. Partout où vous allez, vous portez en vous le poison des comparaisons et vous passez votre temps à attendre ce que vous avez déjà reçu. Je ne dis pas qu'il faille empêcher les mères d'aimer leurs petits. Je dis simplement qu'il vaut mieux que les mères aient encore quelqu'un d'autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine. (p. 36-37)


La Promesse de l'aube. Langage métaphorique, émotion permanente, poésie à fleur de texte. Un roman qu'on est heureux d'avoir lu.

Editions Gallimard, collection folioplus classique, 490 pages.

vendredi 11 juin 2010

La Prochaine fois le feu, de James Baldwin

Voici un livre qui vous fait l'effet d'une gifle. Si vous êtes du genre à ne pas regarder la vérité en face, il vous met les points sur les "i" ; si vous êtes du genre à vous endormir sur vos convictions, il vous réveille de votre sommeil ; si vous avez courbé l'échine devant le joug du destin ou devant un avenir qui vous semble inexorablement compromis, il vous force à relever la tête ; si vous êtes plutôt sceptique et avez tendance à douter de la bonne foi de l'homme, ce petit livre vous fait entendre d'une manière fracassante le cri sincère et poignant d'un homme qui croit, malgré toutes les preuves du contraire, que l'amour peut être le lien qui régit les rapports entre les hommes, entre les hommes de différentes races en particulier, en lieu et place de ce que nous voyons aujourd'hui : la haine, sinon le mépris.

Si toutefois vous ne vous sentez pas concerné par tout ce que je viens d'énumérer, vous serez du moins giflé... je voulais dire frappé par la beauté de ce texte d'un Baldwin qui va chercher ses mots dans les abysses du langage, là où, comme un trésor, il conserve toute sa substance, toute sa saveur.

L'auteur noir américain s'attaque dans ce livre au "problème des rapports entre races" (p. 58) aux Etats Unis, un problème qui concerne l'humanité toute entière, car il n'est pas un pays où on ne trouve pas des hommes de différentes races ou qui n'accueille pas une diversité de populations. Quel que soit le pays où on se trouve, il est effrayant de voir "l'inimaginable cruauté que les hommes manifestent à l'égard les uns des autres" (p. 48) Et la cruauté gratuite qu'a subie (que subit) le Noir aux Etats-Unis dépasse encore plus l'entendement.

En lisant Baldwin, je revoyais des scènes de Black Boy de Richard Wright, que j'ai eu soudain envie de relire. La nature ne se sera jamais montrée autant cruelle que le sont les hommes envers d'autres hommes. Et le silence du monde tout autour, pour ne pas dire ses applaudissements au spectacle de cette cruauté est plus assourdissant encore. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner de la virulence avec laquelle Baldwin s'adresse à l'humanité, qu'il appelle à prendre garde contre un avenir encore plus sombre qu'il ne l'est si nous ne prenons pas le parti de nous aimer les uns les autres, au lieu de nous haïr. Je trouve légitime le "ton menaçant" et la "satire mordante" évoqués en 4e de couverture.

S'agit-il vraiment de menace ? James Baldwin ne fait que prédire ce qui arrivera inéluctablement si certains hommes continuent à se croire supérieurs aux autres, si certains croient que le pouvoir suprême leur appartient. Bien sûr que la prochaine fois, ce sera le feu. Après avoir détruit la terre par le déluge, Dieu promit à Noé de ne plus détruire l'humanité par l'eau, et l'arc-en-ciel qu'on aperçoit parfois après une pluie est là pour rappeler cette promesse de Dieu. Mais est-il besoin d'une quelconque intervention divine dans les affaires des hommes ? Ceux-ci se chargent eux-mêmes de s'exterminer les uns les autres. Comment expliquer les génocides ? (et il y en a eu un certain nombre, tous continents confondus) ; comment expliquer le 11 septembre ? Au vu de tous ces faits, Baldwin apparaît comme un visionnaire, un prophète.

C'est la menace de destruction universelle suspendue au-dessus de nos têtes à tous qui change radicalement et à jamais la nature même de la réalité et pose avec une terrible acuité le véritable sens de l'histoire de l'humanité. Nous autres êtres humains avons maintenant le pouvoir de nous exterminer. C'est là, semble-t-il, tout ce que nous sommes parvenus à accomplir. Nous avons parcouru cette route et sommes arrivés en ce lieu au nom de Dieu. (p. 81)

Peut-on prétendre être chrétien ou tout simplement croyant, peut-on se croire "supérieur", et dans le même temps confiner son prochain dans une condition bien en dessous de celle où se trouvent les animaux ?

Toute prétention à une supériorité quelconque, sauf dans le domaine technologique, qu'ont pu entretenir les nations chrétiennes, a, en ce qui me concerne, été réduite à néant par l'existence même du IIIe Reich. Les Blancs furent et sont encore stupéfaits par l'holocauste dont l'Allemagne fut le théâtre. Ils ne savaient pas qu'ils étaient capables de choses pareilles. Mais je doute fort que les Noirs en aient été surpris ; au moins au même degré. Quant à moi, le sort des juifs et l'indifférence du monde à leur égard m'avaient rempli de frayeur. Je ne pouvais m'empêcher, pendant ces pénibles années, de penser que cette indifférence des hommes, au sujet de laquelle j'avais déjà tant appris, était ce à quoi je pouvais m'attendre le jour où les Etats-Unis décideraient d'assassiner leurs nègres systématiquement au lieu de petit à petit et à l'aveuglette. (p. 77)

Je parlais de Richard Wright tout à l'heure, c'est que je relève plusieurs point communs entre les deux auteurs, notamment une ferme volonté de ne pas "subir" comme ont subi leurs pères, de ne pas accepter l'ordre des choses tel qu'il se présentait, parce que cet ordre ne leur paraissait pas juste : "J'étais froidement résolu [...] à ne jamais accepter le ghetto mais à mourir et à aller en enfer avant que de laisser un Blanc me cracher dessus, avant d'accepter ma "place" dans cette république. Je n'avais aucunement l'intention de laisser les habitants de race blanche de cette nation me dire qui j'étais, m'entraver ainsi et se débarrasser de moi ainsi."(p. 44)

Un livre à lire absolument.

James Baldwin, La prochaine fois, le feu, Gallimard, colection Folio, 140 pages. 1963 pour la traduction française. Titre original : The fire next time, 1962 et 1963.

mardi 8 juin 2010

Une fille du Congo, de Patrick Serge Boutsindi

Voici ce qu'on pourrait appeler un roman de formation ou d'initiation : l'héroïne, Bouesso (ce qui veut dire "la chance"), quitte son village natal pour la capitale, Brazzaville, où diverses expériences se chargent de l'instruire des choses de la vie et de la nature humaine. La jeune fille naïve que nous connaissons au départ devient la maîtresse du mari de sa tante puis d'autres hommes, en particulier des hommes politiques, dont elle fait la connaissance dans le bar où elle a décroché un emploi de serveuse.


(Sur l'illustration de couverture on peut reconnaître le portrait de Rhode Makoumbou)

Lorsque sa tante, après avoir découvert ses relations coupables avec son mari, la chasse de chez elle, il fallut en effet que Bouesso se prenne en mains et subvienne à ses besoins. Elle multiplie les aventures et devient également militante dans un parti politique où elle se voit attribuer des responsabilités. C'est l'occasion pour l'auteur parler de la vie politique du pays. Dans la seconde moitié du roman, le personnage de Bouesso s'efface (bien que ce soit toujours elle la narratrice) pour faire place à l'avènement de la Conférence nationale, aux espoirs et tumultes qu'elle a générés, aux rivalités entre hommes politiques, aux coups bas...

J'ai commencé la lecture de ce roman d'un auteur congolais que je ne connaissais pas jusqu'alors avec beaucoup d'enthousiasme, surtout qu'il nous plongeait tout de suite dans l'univers congolais : us et coutumes, sans oublier la gastronomie et la musique. Tenez :

"Véro portait plusieurs bijoux. Elle brillait comme une momie égyptienne. Elle pratiquait de plus en plus la dépigmentation de la peau, comme la plupart des femmes africaines. Une chose qu'avait dénoncé le musicien Franklin Boukaka, dans une chanson restée célèbre.

Na tango ya bankoko, basi ba zalaki kitoko :

Makiyaj te, nzoto na bango sembe sembe.

Sika oyo, soki Ambi e zangi
Ba komo lokola makayabo e zangi mungwa.

(Du temps de nos ancêtres, les femmes étaient belles
Et ne se maquillaient* pas ; leur peau était douce.
A présent, à court de crème Ambi
Elles ressemblent à du poisson salé sans sel.)"
(Une Fille du Congo, p. 48)

*Je précise que le verbe "se maquiller" doit être pris au sens africain, c'est-à-dire se dépigmenter la peau.

Cela fait plaisir de retrouver les odeurs et les couleurs d'un pays qui nous est cher, mais l'enthousiasme s'amenuise au fil de la lecture. Cela est dû notamment au fait que le récit est linéaire, il n'est pas orchestré de manière à faire rebondir l'intérêt du lecteur. A ce défaut de rebondissement, dans la structure aussi bien que dans l'intrigue, s'ajoute un manque de recherche au niveau du langage. Je veux dire que, sans rechercher l'esthétisme, loin de là, la langue aurait gagné à être plus littéraire. On peut comprendre que Bouesso, une broussarde dont les rêves d'études sont brisés aussitôt arrivée dans la capitale, s'exprime d'une manière triviale, comme une jeune fille de la rue puisque c'est là, finalement, qu'elle fait son éducation. Mais cette trivialité se retrouve également dans la bouche du narrateur externe, ce qui est pour le moins gênant.

Mais bon, je n'aime pas m'attarder sur les insuffisances d'un livre, je préfère revenir aux aspects positifs. Parmi ceux-ci, la volonté de l'auteur de montrer les travers de la société congolaise, les causes qui font que son pays, l'Afrique noire en général, patine :

Au cours d'un rassemblement politique, une jeune fille prend la parole :

"Je me nomme Gisèle Obala, j'ai fait mes études supérieures à Strasbourg, en France. je suis licenciée en anglais. Mais je vends au marché pour subvenir à mes besoins. Parce qu'à chaque fois que je me rends à un entretien d'embauche, le directeur des ressources humaines, voire le patron de l'entreprise, désire d'abord coucher avec moi avant de m'embaucher. Je veux savoir quel rôle votre parti va donner à la femme dans notre pays" (p. 153)


Des amis discutent :

"- Nous les Noirs, on a du mal à trouver des idées en premier. [...]
- Laisse-moi te dire que lorsqu'un Noir veut mettre une bonne idée en pratique, ce sont ses propres compatriotes qui vont être les premiers à s'en moquer. Alors que si cette même idée est avancée par un Blanc, le Nègre obéit et se met à le féliciter. Nous avons encore un sentiment d'infériorité vis-à-vis des Blancs, commenta Pauline.
- Moi j'ajouterai que cela se remarque beaucoup du côté de nos hommes politiques, et moins du peuple. [...]
- L'homme africain, en général ne fait pas un grand effort dans la façon d'analyser les choses. Regarde la conception qu'il a pour mettre des enfants au monde. Pour lui, les enfants devraient à tout prix l'aider financièrement une fois qu'il sera à la retraite. Qu'il deviendra vieux. On ne doit pas prendre un gosse pour un placement financier, comme on le fait avec une banque.( p. 193-194)

Patrick Serge Boutsindi, Une fille du Congo, L'Harmattan, 210 pages, 20 €.

L'auteur a déjà publié plusieurs recueils de nouvelles et deux romans.