vendredi 20 février 2009

Interview de Gaston Mbemba-Ndoumba

Mbemba-Ndoumba a bien voulu nous accorder un entretien, intéressant pour ceux qui souhaitent prolonger l'exploration de son Coup de Théâtre.
Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce Coup de théâtre, qui touche le domaine littéraire, alors que vos livres sont en général essentiellement socioculturels, je citerai par exemple Ces Noirs qui se blanchissent la peau : la pratique du « maquillage » chez les Congolais ?
J’ai une formation en sciences sociales et lorsque j’écris, je ne me préoccupe pas de la classification de mes ouvrages. Il se trouve que ceux-ci sont essentiellement socioculturels. Dans ma démarche, je suis plus porté vers une quête de sens et j’essaie de rendre intelligible la vie quotidienne des gens ordinaires pour atténuer les tensions et les angoisses sociales. Je me réjouis que mon dernier ouvrage soit classé en littérature, ça c’est un coup de théâtre ! Ce n’était pas mon intention de départ. Je croyais avoir écris un ouvrage d’Anthropologie du théâtre.

Comment présenteriez-vous votre ouvrage : comme une ‘‘histoire du théâtre congolais’’ ou plutôt comme l’histoire de votre coup de foudre pour le théâtre ? En effet votre livre se présente comme un ouvrage critique sur la pratique du Théâtre au Congo, comme le suggère le sous-titre « Histoire du théâtre congolais ». Pourtant il n’est pas exempt d’une certaine subjectivité : vous employez d’ailleurs assez souvent la première personne du singulier et l’expression « mon univers théâtral », dans le chapitre liminaire, pour justifier le titre est assez explicite.
C’est tout cela en même temps. Avec beaucoup de pudeur j’aurais dû intituler mon ouvrage « histoire incomplète du théâtre Congolais ». J’ai passé des nuits blanches pour tenter de trouver un titre. C’est celui là qui s’est imposé. Il y a toujours une part de subjectivité dans tout ce que nous faisons. Cela peut être une source de motivation pour tendre vers l’objectivité. C’est le cas du journaliste qui nous donne des informations chaque soir. Il lutte chaque jour contre sa subjectivité pour essayer de donner une information objective. Mais son appartenance à une classe donnée peut être un obstacle. Chacun de nous est marqué socialement. En écrivant ce Coup de théâtre, j’ai lutté à chaque instant contre ma subjectivité. Je ne sais pas si j’y suis arrivé, c’est au lecteur de le dire.

La première partie du livre fait bien l’historique du théâtre au Congo, qui voit l’émergence de troupes amateurs dans les années 80 (une trentaine selon vos sources) avec, en tête de proue, le Rocado Zulu Théâtre de Sony Labou Tansi, le Théâtre de l’Eclair d’Emmanuel Dongala et la Troupe Artistique Ngunga de Matondo Kubu Turé, cette dernière occupant une place de choix dans votre livre eu égard au nombre de chapitres qui lui sont consacrés (5 chapitres), contrairement aux deux premiers qui n’occupent que l’espace d’un chapitre chacun. Pourquoi cette inégalité de traitement entre ces trois troupes principales ?
SO.MA.DO, c’est le nom qui a été donné aux trois enfants terribles de l’âge d’or du théâtre au Congo. SO comme Sony Labou Tansi (avec le Rocado Zulu Théâtre), MA comme Matondo Kubu Turé (avec la Troupe Artistique Ngunga), et DO comme Emmanuel Dongala (avec le Théâtre de l’Eclair). Il y en avait d’autres mais ces trois là étaient des artistes dans l’âme. Sony se servait du théâtre pour faire la critique de la gestion du pouvoir public. Dongala fut un esthète. Il était chaque jour préoccupé par la beauté du geste au théâtre. Matondo a fait la rupture épistémologique de la création théâtrale. Cette rupture peut se résumer en quelques points :
1-Disparition du metteur en scène en tant que personne physique remplacée par la mise en scène collective (dans les sociétés africaines c’est généralement le groupe qui l’emporte sur l’individu : à l’image de la palabre. La mise en scène devient une construction collective).
2-Au théâtre le texte n’est plus incontournable. Il devient un élément ordinaire comme bien d’autres. Dans cette approche le chant, la musique, la danse, le silence, l’expression corporelle et la parole deviennent des éléments fondamentaux. Ces éléments caractérisent notre univers social.
3-Le public est un acteur qui participe au déroulement de la pièce de théâtre. Il peut réagir et applaudir à chaque séquence(en occident le public est plongé dans le noir et dans le silence, donc supprimé, jusqu’à la fin de la pièce).
4-Les comédiens peuvent jouer sur la scène mais également dans chaque espace qu’offre la salle de représentation… Cette vision peut aussi être un coup de théâtre parce qu’elle est politiquement incorrecte, elle sort des sentiers battus.

On constate aussi l’absence de chapitre consacré au théâtre national, on aurait aimé connaître de façon plus approfondie son expérience, son répertoire, bref son histoire comme vous l’avez fait pour les autres...
Un esprit puissant du siècle dernier, Amadou Hampaté Ba, écrivait : « En Afrique lorsqu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ».La quasi totalité des bibliothèques de notre pays ont été décimées par des guerres successives ou par des maladies en tout genre. Je voudrais dire par là qu’il est difficile aujourd’hui d’accéder aux archives dans notre pays. Parce qu’elles n’existent pas. Lors de mon dernier voyage à Brazzaville en 2006 j’ai remué ciel et terre pour trouver une personne ou un document susceptibles de me retracer l’histoire du théâtre national, mais je n’ai pas trouvé. Je reconnais volontiers qu’une fiche historique sur le théâtre national aurait été indispensable dans cet ouvrage, mais hélas nos bibliothèques brûlent chaque jour. D’où l’idée de développer d’autres moyens de conservation comme Internet ou ce ‘‘coup de théâtre’’.

A la fin du livre, vous faites une « proposition de mise en scène d’une pièce de théâtre », il s’agit précisément d’une pièce de votre création, intitulée Méza Aminata, roi des Kongo, pouvez-vous nous en parler, surtout que le héros semble être un double de l’auteur ?
Effectivement « Méza Aminata, roi des kongo » est une pièce que j’ai écrite en 1995 lorsque j’étais étudiant à Toulouse. Dans cette pièce j’essaie de mettre en relief les dérives d’un roi imbu de sa personnalité dans l’exercice du pouvoir. Dans ce genre de situation les conséquences sont souvent dramatiques, c’est le cas de ce royaume dont l’histoire se termine dans une révolte et un bain de sang. C’est ce qui arrive dans un pays lorsque les citoyens sont privés des libertés et que tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’un seul homme. Il n’y a plus que le théâtre pour rétablir les choses. C’est très possible que le héros de cette pièce soit le double de l’auteur. Et pourtant chaque jour il essaie de lutter contre sa subjectivité pour créer avec d’autres une société de partage.

Cette proposition de mise en scène ne risque-t-elle pas d’être inopérante si les personnes susceptibles de s’intéresser à cette pièce et de la mettre en scène n’ont pas accès au texte ? Comment se procurer cette pièce ?
Le texte n’a jamais été publié. C’est encore un manuscrit qui dort dans mes cartons (archives). Sa publication ne saurait tarder.

N’aurait-il pas été judicieux de faire également une place dans votre livre à ce qu’on pourrait appeler le théâtre populaire ? Je pense aux sketches télévisés très prisés par le public des deux Congos, avec des personnages devenus célèbres comme ‘‘sans souci’’, ‘‘pantalon zoba’’ et j’en oublie... Aujourd’hui des créations ivoiriennes font fureur sur le marché...
Vous avez raison j’aurais dû. C’est pour cela qu’en revisitant ce texte et avec un peu de recul le titre le plus parlant aurait été « histoire inachevée » ou simplement « histoire incomplète…. Mais comme dit un dicton populaire « une œuvre d’art n’est jamais terminée », celle-ci ouvre un débat. Au début de mon ouvrage j’ai pris soin d’avertir le lecteur que je voulais raconter l’histoire du théâtre congolais d’expression française. Cet avertissement me protège pour que le lecteur ne me reproche pas d’avoir exclu délibérément des formes très variées de théâtre qui existent dans notre pays. Le théâtre populaire remplit sûrement une fonction sociale. Mais je crains qu’il ne devienne une sorte « d’opium du peuple » (Karl Marx), qu’il endorme la conscience du peuple, qu’il empêche les citoyens de réfléchir à leurs conditions sociales. J’ai voulu parler d’un théâtre d’action qui libère les citoyens. Un théâtre d’avant-garde qui accompagne les femmes et les hommes pour tenter de trouver des solutions à leurs problèmes. Un théâtre qui interpelle les pouvoirs publics. Enfin un théâtre qui permet à chaque citoyen de prendre la parole sur la place publique sans être inquiété, à l’image d’Aimé Césaire dans « Cahier d’un retour au pays natal », de Jacques Roumain dans « Gouverneurs de la rosée » ou de Cheikh Hamidou Kane dans « l’Aventure ambiguë ». Et ça c’est un vrai coup de théâtre.

Un dernier mot ?
J’invite ceux qui ont un peu de temps à découvrir ce coup de théâtre.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

BONJOUR, JE NE TROUVE PAS DE MAIL OU VOUS JOINDRE C EST POUR UNE TABLE RONDE SUR LA LITTERATURE CONGOLAISE SI VOUS POUVIEZ JOINDRE GASTON MBEMBA NDOUMBA, C'EST LUI QUI M'A PARLE DE VOUS

Liss a dit…

Bonjour Cynthia,

merci pour l'info, je vais donc contacter Mbemba-Ndoumba pour en savoir plus.